Fonction publique : témoignages anonymes et sanction disciplinaire, qu’en-est-il ?

Par une décision du 5 avril 2023, le Conseil d’État a considéré que l’autorité investie du pouvoir disciplinaire peut se fonder exclusivement sur des témoignages qu’elle a anonymisés à la demande des témoins, pour infliger une sanction disciplinaire. En cela, la juridiction administrative se distingue du juge judiciaire qui a récemment jugé qu’il n’était pas possible, en matière de licenciement, de fonder sa décision « uniquement ou de manière déterminante » sur des témoignages anonymes (Cass.  Soc., 19 avril 2023, n°21-20.308). Il est intéressant de constater que la Chambre sociale s’est fondé, notamment, sur l’article 6, §1 et 3, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales qui s’impose également aux juridictions administratives. Pour autant, cette divergence d’interprétation n’est pas étonnante et se retrouve également s’agissant des expertises, le juge administratif pouvant se fonder exclusivement sur une expertise non-contradictoire alors que le juge judiciaire ne l’admet pas.

Comme souvent, cette divergence d’interprétation concerne davantage les principes que les faits. La Cour de cassation admet ainsi que le juge :

« peut néanmoins prendre en considération des témoignages anonymisés, c’est-à-dire rendus anonymes a posteriori afin de protéger leurs auteurs mais dont l’identité est néanmoins connue par l’employeur, lorsque ceux-ci sont corroborés par d’autres éléments permettant d’en analyser la crédibilité et la pertinence » (Cass.  Soc., 19 avril 2023, n°21-20.308).

Simultanément, le Conseil d’État précise qu’en cas de contentieux engagé par l’agent public sanctionné, l’employeur public devra produire tous éléments permettant de démontrer que « la qualité des témoins correspond à celle qu’elle allègue » et « tous éléments de nature à corroborer les faits relatés dans les témoignages ». En cas de doute, le juge peut également ordonner toute mesure d’instruction utile pour forger sa conviction.

Ces deux décisions se rejoignent quant à leur portée pratique. D’abord, les agents publics ou salariés du privé craintifs de représailles peuvent témoigner sous couvert d’anonymat contre un collègue. Ensuite, l’employeur, qu’il soit public ou privé, peut se fonder sur des témoignages anonymes pour infliger une sanction disciplinaire. Pour les salariés du privé, ces témoignages devront être corroborés par d’autres éléments. Pour les agents publics, il est fortement recommandé que ces témoignages soient également corroborés par d’autres éléments, l’employeur public prenant un risque important d’annulation dans le cas contraire. Enfin, l’agent ou le salarié sanctionné a tout intérêt à contester l’authenticité des témoignages et / ou la véracité de leur contenu.

Finalement, le juge judiciaire n’est donc pas si sévère que cela et le juge administratif n’est pas tant ouvert que l’on pourrait le croire.

CE, 5 avril 2023, n°463028