Indemnisation des victimes des émeutes par les administrations

A la suite du décès du jeune Nahel, provoqué par un agent de police, de nombreuses manifestations ont traversé la France. La ville de Lyon n’a pas été épargnée par ces récents événements, particulièrement, durant les soirées du 30 juin 2023 et du 1er juillet 2023 au cours desquelles des vagues d’émeutes ont submergé la ville, causant, au passage un grand nombre de dégradations aux biens publics et privés. Ces émeutes ont été source de préjudices pour de nombreux commerçants de la ville qui ont vu les vitrines de leurs commerces brisées, leur enseigne vandalisée et, parfois même, leurs stocks raflés. Par ailleurs, les commerçants n’ont pas été les seules victimes de ces émeutes puisque, parallèlement, un certain nombre de véhicules appartenant à des particuliers ont été incendiés ou dégradés. Le calme revenu après la tempête, le temps de la réparation des préjudices est désormais venu.

Sauf cas exceptionnel, l’action en réparation des préjudices formée directement à l’encontre des auteurs des dommages semble vouée à l’échec, ceux-ci étant, bien souvent, impossible à identifier. La prise en charge de ces dégâts par les assureurs n’est pas non plus automatique, l’article L. 121-8 du Code des assurances prévoyant que, sauf stipulation contraire, le contrat d’assurance ne couvre pas les dommages occasionnés par les émeutes. Au regard de la recrudescence des émeutes, il est d’ailleurs présumé que les clauses prévoyant une prise en charge des dommages occasionnés dans de telles circonstances soient davantage sollicitées. Dans le même temps, des franchises de plus en plus élevées pourraient être appliquées par les assureurs. En tout état de cause, l’indemnisation par l’assureur est souvent incomplète, eu égard aux plafonds appliqués. 

Dans ce contexte, la responsabilité de l’État et, plus généralement des personnes publiques, constitue une solide alternative pour obtenir l’indemnisation intégrale de ses préjudices. D’abord, la responsabilité sans faute de l’État peut être engagée en vertu de l’article L. 211-10 du Code de la sécurité intérieure qui prévoit que :

« L’État est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens. »

Cette disposition ne fait pas mention du terme d’émeute mais fait référence à la notion « d’attroupement ». La jurisprudence subordonne la qualification d’attroupement à un critère principal de spontanéité. En effet, l’attroupement requiert une formation spontanée, étrangère à toute forme d’organisation ou de préméditation. Par ailleurs, la présence de casseurs au sein de la manifestation n’est pas forcément de nature à faire obstacle à la qualification « d’attroupement », si les dégâts ont été occasionnés durant l’épicentre de la manifestation (CAA Toulouse, 17 janvier 2023, n°21TL01452).

Sur ce fondement, les justiciables pourraient obtenir l’indemnisation de leurs préjudices. Cette action peut être directement intentée par le justiciable. En d’autres hypothèses, l’assureur peut également se subroger dans les droits de son assuré pour entamer l’action.

A côté de cette responsabilité dite sans faute, la responsabilité de l’État pourrait également être engagée pour faute et, notamment, en cas de carence de police administrative. Dans ce cadre, il faudrait être en mesure de démontrer une faute de l’État, représenté par les préfectures, ce qui pourrait être le cas si, par exemple, une insuffisance dans les dispositifs de maintien de l’ordre mis en place était démontrée.

Enfin, la responsabilité pour faute des communes pourrait également être engagée. Pour rappel, la commune est l’autorité de police administrative générale et la police municipale est placée sous son autorité (L. 2112-1 et 2 du Code général des collectivités territoriales). A ce titre, la commune a l’obligation d’agir pour prévenir la réalisation des troubles à l’ordre public. Pour ne citer que la ville de Lyon, il lui est reproché, notamment, par le Président de la Région AURA, de ne pas avoir fait appel à la police municipale ou à sa réserve opérationnelle au soir des événements et d’avoir maintenu le festival « Entre Rhône et Saône ». Si, ces reproches formés sur fond de querelles politiques n’ont, pour l’heure, aucune conséquence juridique, ils pourraient constituer, demain, un terreau fertile à l’indemnisation des commerçants et de leurs assureurs, ainsi que des particuliers victimes des émeutes.